Paroles de Roucas 6 - Le Stadium
Les déchets de bauxite rougissent les collines du Griffon
En bordure du chemin département 9, à hauteur de Valbacol, il est difficile de ne pas remarquer ce bloc monolithique anthracite érigé au beau milieu des résidus ferreux de bauxite. Ce tableau insolite que l’on pourrait nommer «le rouge et le noir», n’a cependant rien à voir avec les thèmes évoqués dans le célèbre roman de Stendhal. Ici, au premier plan, il s’agirait plutôt d’argent public gaspillé pour cette salle de spectacle qui n’a plus vu d’artistes depuis 1998 (lire ci-dessous). Quant aux terres rouges figurant à l’arrière plan, elles dépeignent le triste héritage du produit phare de l’industrialisation du début du XXe siècle, à savoir l’alumine, la matière première de l’aluminium, dont les déchets furent stocker ici durant pas moins de seize ans. Le minerai de Bauxite, découvert aux Beaux de Provence en 1822 par le chimiste Berthier, fut particulièrement abondant dans notre région. Dès la fin du XIXe siècle, grâce au procédé Bayer, technique optimisée permettant d’extraire l’alumine de la bauxite, de nombreuses usines ont vu le jour, dont une à Gardanne et deux à Marseille. Cette activité a non seulement fortement contribué aux ressources financières de la région. Mais aussi, elle a employé plus de 3000 personnes dont pas moins de la moitié dans la cité phocéenne. En 1914, avec une production annuelle s’élevant à 300 000 tonnes, la France était le premier producteur mondial d’alumine. Mais au fil des décennies, notre pays, concurrencé par l’Afrique et l’Australie, a progressivement perdu ce monopôle, entraînant la fermeture des deux usines marseillaises. Outre l’usine Pechiney de Gardanne, il ne reste aujourd’hui plus beaucoup de traces de cet essor industriel du début du siècle dernier. A l’exception de ces boues rouges, résidus de bauxite provenant de l’usine Alusuisse aux Aygalades, et entreposées entre 1953 et 1969 sur cette colline qui surplombe le quartier du Griffon.
Un monolithe perdu dans un no man's land
C’est au milieu de ces coulées de bauxite que le Stadium est sorti de terre en 1994, en dépit de l’avis du ministère de la culture et des conclussions d’un rapport commandé par la ville, tous deux défavorables à la création d’une salle de spectacle à grande capacité. 13 millions d’euros ont ainsi été investis dans cet énorme équipement culturel qui avait pour vocation d’accueillir les concerts et les matchs du club de handball OM Vitrolles. Mais la concurrence des salles voisines, la liquidation du club de handball ainsi que l’engagement politique de la mandature Mégret, vont rapidement conduire le stadium à la fermeture. Le dernier spectacle remonte à avril 1998, avec le concert Jean Jacques Goldman. Aujourd’hui, cet imposant bâtiment est à la charge de la communauté d’agglomération du Pays d’Aix qui envisage sa réhabilitation. Mais outre son coût exorbitant et sa cessation d’activités précoces, les habitants de la cité du Rocher ont surtout décrié le côté esthétique du monument, malgré son architecture qui s’intègre très bien dans cette nature post-industrielle. Ce bunker suburbain en béton noir fut imaginé par le célèbre ingénieur et architecte Rudy Ricciotti, également créateur de la gare maritime de Marseille en 2000 et plus récemment du centre chorégraphique national pour André Preljocaj à Aix en Provence. Dans ce no man’s land qu’est ce secteur de Vitrolles, cette sorte de cube noir qui semble avoir été balancé du haut de la galaxie n’est pas sans évoquer le film culte de Stanley Kubrick, 2001 l’odyssée de l’espace. Dans ce dernier des hommes singes et des scientifiques s’interrogent à tour de rôle sur la curieuse présence d’un monolithe. Un peu de la même manière que les nombreux Vitrollais se demandant ce que deviendra le Stadium …