Paroles de Roucas 5 – Retour au temps des Salyens

Paroles de Roucas 5 - Retour au temps des Salyens

Un vestige de l'antiquité caché sous les cloches de Saint Gérard

Paru en été 2006 (La Provence édition Etang)

Saviez-vous que nos ancêtres avaient pour coutume d’imbriquer certains vestiges de l’antiquité dans des murs d’édifices religieux ? Non pas pour les utiliser comme matériaux de remploi, mais pour éviter de susciter les convoitises tout en les abritant des assauts du temps. C’est le cas à Vitrolles, où l’église Saint Gérard qui fut édifiée au XVIIIe, recèle une dalle gravée témoignant des premières traces de la civilisation locale datant approximativement du 1er siècle avant JC. C’est à l’abri des déprédations, dans un endroit relativement peu accessible, que cette curieuse inscription lapidaire a été enclavée, à l’intérieur de la façade nord du clocher, au niveau de la plate-forme où se trouvent les cloches. Mais si l’on sait avec certitude que cette pierre fut placée ici vers 1744, lors de la construction de l’église, à l’initiative de quelques érudits locaux curieux d’antiquité, en revanche, il semble bien plus compliqué de déterminer avec exactitude la signification de ces inscriptions gallo grecques. Sur ce bloc de calcaire de Calissane (Lançon), estimé à plus de 30 centimètres d’épaisseur, une gravure soignée s’étale sur 62 cm de long et 31 cm de large. Selon un rapport établit par l’archéologue Michel Lejeune, le lapicide aurait réalisé la gravure de ces quatre lignes en trois étapes. Il a commencé par un dessin au charbon avant de procéder au décapage sur 1mm, pour enfin effectuer la gravure définitive sur 3mm de profondeur. Le texte incomplet, dont on ignore s’il commençait plus haut ou se poursuivait plus bas, désigne un préteur, titre indigène définissant le chef d’une tribu en relation avec l’administration romaine. Malheureusement, les nombreuses lettres indéchiffrables ne permettent pas de connaître avec certitude son nom ainsi que le groupe ethnique auquel il appartenait. Quant à l’origine géographique de cette pierre datée entre 50 et 100 ans avant JC, elle proviendrait de l’oppidum du Castellas, place forte située sur une acropole escarpée surmontant le plateau, où furent également découverts de nombreux débris de poterie campanienne et indigène.

Ces inscriptions gallo-grecques remontant entre 50 et 100 avant J-C, sont bien à l'abri sous les cloches de l'église Saint Gérard depuis le XVIIIe siècle.

Ces roches divinisées par les Salyens

Il n’y a pas qu’en Bretagne que l’on trouve des menhirs. Il en existe un petit peu partout en France et même au sein de la ville qui a aussi recensé dans son patrimoine l’un de ces étranges monolithes gisant au quartier des Hermes. Dans notre région, les menhirs sont plutôt désignés comme des pierres levées, dressées ou plantées, à l’instar de celle qui orne le rond point éponyme de la ville depuis 1997. L’utilité de cette pierre plantée qui fut découverte au XIXe siècle aux environs de l’actuel centre urbain, n’a jamais été déterminé avec certitude. Cependant, les nombreuses plantades de ce type déjà découvertes en Provence, enracinées dans la terre et s’élevant vers le ciel, permettent d’avancer, outre le symbole de l’éternité, qu’il s’agirait d’après leur localisation, de points de repères saisonniers. Cette pierre plantée aurait été érigée par les Salyens, peuple celto ligure qui a colonisé la région entre le Rhône et le Var vers le deuxième siècle avant notre ère. Contrairement aux Grecs de Massalia, ces derniers, pour se protéger des invasions helléniques, ont vécu retranché dans les oppidums, jusqu’au début de la pax Romana. L’oppidum d’Entremont, à Aix en Provence, témoigne largement de cette civilisation qui avait pour tradition de couper les têtes de ses ennemis. Dans la ville, cet intérêt des Salyens pour la décapitation, est également rappelé au jardin des trois mares. Selon Paul Colombier, écrivain velauxien, défenseur de la langue provençale et véritable spécialiste de l’histoire locale, ce lieu n’évoquerait non pas des plans d’eau mais des rochers en forme de crâne que nos ancêtres celtes divinisaient. La mare ferait ici référence à marr, qui, selon l’étymologie préromane, signifie cailloux. Ces derniers sont d’ailleurs très nombreux et parfois insolites sur ce tertre de roche blanche descendant en pente douce vers la zone industrielle des Estroublans.

Le jardin des trois marres abritaient des cailloux en forme de crâne très appréciés par les Celto-Ligures.
La Pierre Plantée servait probablement de repère saisonnier pour les Salyens.