Paroles de Roucas 2 - Marbre rouge
Une Pierre rouge qui vaut de l'or
Le stratotype Vitrollien, désignation scientifique de la longue barre rocheuse qui s’étant du griffon jusqu’au Radar, est composée d’un calcaire argileux localement riche en Microcodium (1). Si contrairement au Rognacien (2), cette falaise correspondant à l’étage géologique du paléocène (3), ne recèle aucun fossiles de dinosaures, en revanche, sa roche présente non seulement un intérêt artistique, mais aussi industriel. Pourtant, sur le plateau, pas de grosses cheminées ni d’usines polluantes à l’horizon. Juste des gros nuages de poussières dissimulant le passage de quelques camions chargés de graviers. Car à quelques encablures du radar, au lieu dit Val d’Ambla, une carrière est en activité depuis le début du siècle dernier. A l’époque, elle employait une dizaine d’ouvriers immigrés Italiens, qui extrayaient la roche à la force des bras. Aujourd’hui, elle s’est quelque peu modernisée. Le gisement dispose désormais de perforateurs, de tractopelles et autres concasseurs permettant d’obtenir des graviers de différents calibres qui se distinguent par leur couleur rosâtre. «Le calcaire marbrier de Vitrolles est unique de part sa couleur rouge étrusque, explique George Vila, PDG de la carrière du Val d’Ambla. Nous produisons essentiellement du gravier et des pierres à bâtir pour l’industrie du bâtiment, que nous distribuons aux quatre coins de la France, dont une grosse partie pour la ville rose, Toulouse. Mais si notre gravier est un produit de prestige, à peu près dix fois plus onéreux qu’un gravier standard, notre production est également limitée par arrêté préfectoral à 18 000 tonnes par an, contre 1 million de tonne pour une carrière standard», souligne t-il. En dehors des industriels, George Vila a aussi une clientèle d’artistes sculpteurs, à l’instar de celui qui fut chargé de modeler des colonnes décoratives pour la résidence secondaire de Bill Gaytes, à Nice, ou d’Olivier Bataille (lire ci-dessous).
(1) Bactéries rendant le calcaire très tendre et friable
(2) Calcaire blanc à la cassure beige clair du crétacé supérieur de – 100 à -65 millions d’années
(3) Première étage géologique de l’ère tertiaire, compris entre -65 et -58 millions d’années
Olivier BATAILLE sculpte le marbre Vitrollais
Ces blocs rocheux composés de veines plus ou moins rouges ont une vocation artistique depuis quelques siècles déjà. Autrefois très prisé par les Italiens et les asiatiques, qui l’utilisaient pour façonner des statuettes ou pour décorer des monuments, le marbre vitrollais orne aussi la fontaine de la place de la république depuis 1894 ainsi que la cathédrale de la Major à Marseille. Aujourd’hui, il est toujours la matière première de nombreux sculpteurs issus du monde entier, à l’image d’Emily Young, une Anglaise qui expose actuellement ses œuvres sur Internet. Mais c’est bien plus près de chez nous que nous avons rencontré Olivier Bataille, un Varois qui sculpte lui aussi le marbre rouge étrusque. «Diplômé de l’école supérieure d’Art graphique en 1978, j’ai d’abord été architecte d’intérieur et designer avant de créer ma première sculpture sur marbre en 1990, à Carrare en Italie, raconte t-il. Depuis, j’ai sculpté différents types de pierre en privilégiant celles qui une fois travaillées ressemblent à de la chair». C’est la raison pour laquelle ce sculpteur quinquagénaire affectionne tout particulièrement la roche locale, nuancée de rouge, qu’il sélectionne lui-même dans la carrière du Val d’ambla. «Chercher dans une carrière une pierre informe et lui donner forme pourrait être l’essentiel de ma démarche, poursuit olivier. Dans mon travail qui est volontairement limité au minimum, le choix de la pierre a toute son importance, souligne t-il. Ce choix est déjà un geste créateur, car mon intervention en taille directe me permet de prolonger ce que les accidents de la nature ont commencé. Garder l’aspect brut de la pierre, en travaillant certaines parties et laisser volontairement la trace des outils font partis d’une démarche qui cherche à traduire une inspiration libre, sans modèle, détachée du résultat. Mon œuvre de tendance figurative suggère les formes humaines et transforme la matière minérale, non pas en de l’or mais en de l’humain».
La sculpture du "Rouge étrusque" selon Emily YOUNG
«Lorsque je sculpte une pierre âgée d’un million d’années, je me dis toujours qu’elle pourrait encore exister dans cent millions d’années. Et à ce moment là, je ne peux m’empêcher de me demander: Qui la verrait ? Et que verrait-il ?». Tel est le leitmotiv d’Emily Young, une sculptrice londonienne qui a débuté sa carrière au début des années 70 et qui a fait connaître ses œuvres dans le monde entier. Mais si le Vitrollien s’intéresse aujourd’hui à cette artiste, c’est que cette dernière utilise entre autre, comme matière première, le marbre rouge étrusque de Vitrolles, qui peut notamment être extrait dans la carrière du Val d’Ambla située sur le plateau. Pour réaliser ses sculptures Emily Young doit faire appelle à ses sens car c’est principalement la pierre qui, selon son apparence, sa sonorité et son odeur, va dicter son travail. «L’aspect extérieur d’une pierre est souvent un déguisement, explique t-elle: Elle peut être ancienne, terne, vieillie, mais après quelques heures de polissage, sa surface révèle souvent un monde extraordinaire de couleurs, de rayures, de points, une configuration de complexité inhumaine et de beauté». Suivant les marbres utilisés, les couleurs de ses sculptures évoquent ainsi la flamme, la chair, le nid d’abeilles, la peau de serpent, les nuages, la fonte ou la crème glacée. Mais au de l’apparence, le son et l’odeur de la pierre ont également une importance majeure dans la sélection de la pierre. «Sous l’effet du martèlement de l’outil, certaines pierres résonnent et le son qu’elles émettent m’indique si elles sont solides, exemptes de défauts et aptes à la sculpture, précise t-elle. De plus, une fois brisés, certains minéraux peuvent dégager un flash rapide de puanteur, de soufre, de pétrole ou d’océan, provenant d’algues ou de vieux poissons. Cette indication supplémentaire sur leur provenance peut ainsi influencer la création de la future œuvre». Bien plus qu’une matière première, la pierre est donc la principale source d’inspiration d’Emily Young. Elle s’inspire de leur passé pour prolonger leur histoire. «Je ne veux pas faire de la Pierre mon serviteur car il est évident qu’elle pourrait témoigner d’elle-même de l’histoire de la terre et de l’univers. Une histoire que les géologues du XIXe siècle ont su décoder afin de trouver l’explication de nos origines». Le calcaire marbrier de Vitrolles remonte quant à lui à 65 millions d’années. Emily le sait et compte bien éterniser par son art la désormais célèbre pierre rouge étrusque.